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L’économie de partage: révolution en marche ou tempête dans un verre d’eau?

Date de publication : 1 septembre 2017 | Dernière mise à jour : 19 avril 2020

Depuis près de deux décennies, nos sociétés voient croître un mode de consommation basé sur l’échange de services et la mutualisation de biens sous-utilisés. Bien que certains la qualifient encore de nouveau mode de consommation, l’économie de partage, ou économie collaborative, n’est pas vraiment nouvelle pour d’autres. Pourtant, ce mode de consommation « a le potentiel de jouer un rôle de plus en plus important dans l’économie canadienne1 » et promet de transformer nos sociétés et le secteur de l’assurance, selon la firme internationale EY. Alors que les nouvelles générations, moins enclines à posséder des biens, semblent avoir adhéré facilement à cette minirévolution, l’industrie de l’assurance de dommages peine encore à répondre aux besoins de ces consommateurs.

L’économie de partage, une révolution?

Selon les plus récentes données de Statistiques Canada, près d’un Canadien sur dix a participé à l’économie de partage l’an passé, que soit pour la location d’un logement privé au Canada ou à l’étranger2 ou pour le transport entre particuliers3. Entre novembre 2015 et octobre 2016, les Canadiens ont ainsi dépensé près d’un quart de milliard de dollars pour le transport entre particuliers et 367 millions de dollars en location de logements privés au Canada.

Ainsi, l’économie de partage, que le dictionnaire Oxford définit, avec une vision traditionnelle, comme étant « un système économique dans lequel les biens ou les services sont partagés entre des particuliers gratuitement ou moyennant des frais, généralement grâce à Internet », permet aux individus et aux groupes de gagner de l’argent en partageant des services ou des actifs autrement sous-utilisés4. Les véhicules privés de la grande région montréalaise qui demeurent stationnés plus de 95 % du temps lors d’un jour de semaine moyen5 sont un exemple de bien sous-utilisé auquel l’économie de partage s’est intéressée. Toutefois, la location de logements privés et le transport entre particuliers ne sont que la pointe de l’iceberg.

L’économie de partage adopte de nombreuses formes : un coup d’œil à la cartographie des initiatives collaboratives du Québec, réalisé par OuiShare Québec et disponible sur le site de Protégez-Vous, permet de constater qu’il existe « plus de 180 façons d’échanger des biens ou des services » au Québec seulement. Selon un autre modèle de classification fréquemment utilisé, l’économie de partage compte plus d’une quarantaine de catégories de fournisseurs, de l’apprentissage en ligne (Coursera, Khan Academy) à la livraison locale (Instacart, UberRUSH) en passant par la gestion de la réputation et les services de santé ou de bien-être.

Histoire d’embrouiller encore davantage les cartes, pour certains, ce type de partage de ressources n’est pas nouveau du tout : avant sa faillite en 2014, l’entreprise Allo-Stop Montréal proposait des services payants de covoiturage entre particuliers depuis plus de 30 ans. De son côté, Communauto offre des services d’autopartage depuis 1994. Ces deux compagnies québécoises proposaient un service similaire à celui d’Uber et de Turo bien avant les années 2000. Et ces initiatives ne sont elles-mêmes que la version commerciale et organisée d’une pratique autrefois répandue dans le monde agricole, comme l’expliquait en février dernier Jacques Nantel, professeur émérite au Département de marketing de HEC Montréal, au magazine Urbania : « […] Il n’y a rien de neuf là-dedans […], c’est un concept qui remonte facilement au XIIIe siècle, notamment en milieu rural. Les équipements agricoles étaient généralement partagés, exactement pour les raisons que je vous ai mentionnées : simplement parce qu’on n’a pas tous besoin d’une machine agricole, d’un bœuf ou d’un tracteur. On est aussi bien de l’avoir collectivement et de se le partager. » Cette pratique a d’ailleurs toujours cours en France où il existe depuis deux ans une plateforme en ligne de partage de matériel agricole.

Pour certains spécialistes, une activité engendrant un profit ne peut plus être qualifiée d’économie « de partage »6, c’est pourquoi l’expression « économie collaborative » émerge de plus en plus pour tenir compte d’un éventail étendu de possibilités. On se trouve ainsi confronté à « deux réalités qui s’opposent, comme l’explique Alexandre Bigot-Verdier, connecteur pour OuiShare au Québec. D’un côté, on a une économie dite de plateformes numériques, comme Airbnb ou Uber. Ce sont des modèles d’affaires privés, financés selon le principe du capital risque et dont les utilisateurs espèrent souvent un gain financier ou des économies. De l’autre côté, on a le système de collaboration dans les communautés. Il s’agit d’un système ancré dans un territoire ou un groupe donné répondant à un besoin qui y est avéré. Les coopératives en sont un exemple connu, mais on y trouve aussi des espaces de travail partagé ou des projets de tiers-lieux comme l’Accorderie à Québec. Cette forme d’économie collaborative est davantage ancrée dans l’économie sociale et solidaire et la consommation responsable. »

Sortir du modèle traditionnel

Pour M. Bigot-Verdier, « l’économie collaborative, c’est avant tout un symptôme des impacts sociaux du numérique. C’est un mouvement de décentralisation économique, social et politique que la révolution numérique a permis d’accélérer ». Au-delà des valeurs économiques sous-jacentes et des technologies utilisées, ce phénomène transforme la façon dont on vit, crée, travaille, consomme, ou celle dont acquiert des connaissances. Autrefois, la consommation et l’économie reposaient davantage sur la possession d’un objet ou l’achat d’un service. Aujourd’hui, on accède à un bien ou à un service par la location, l’emprunt, l’abonnement, la revente (économie de seconde main), l’échange ou le don.

Deux attitudes à l’égard de ce mouvement sont observables : lutter contre le phénomène en l’interdisant ou s’y adapter en repensant le modèle. Comme illustration du premier cas, citons la longue bataille engagée depuis 2010 entre Airbnb et la Ville de New York. Cette année-là, une loi promulguée par la Ville et l’État de New York rendait illégale la location d’un appartement pendant moins de 30 jours dans les immeubles comprenant trois appartements ou plus si le propriétaire n’était pas présent pendant toute la durée du séjour. Depuis l’automne 2016, la loi a été renforcée et prévoit des amendes allant jusqu’à 7 500 dollars pour les propriétaires qui publient sur Airbnb une annonce de location d’appartement à New York non conforme à la législation en vigueur. À Montréal, alors que Le Plateau-Mont-Royal poursuit sa lutte contre Airbnb, l’arrondissement de Rosemont–La Petite-Patrie a adopté au contraire une autre approche en assouplissant le règlement sur la location d’espaces privés sur son territoire. Depuis juin, les résidents de cet arrondissement peuvent louer à d’autres leur stationnement, un coin de garage ou leur sous-sol pour en faire des espaces de travail ou d’entreposage.

Qu’est-ce que ça change pour l’industrie?

L’industrie de l’assurance de dommages n’est pas en reste. Déjà, en France, un des principaux marchés mondiaux de l’économie collaborative, de plus en plus d’assureurs proposent des programmes d’assurance adaptés à ce modèle. « Puisqu’il n’y a plus vraiment de biens privés et que tout est désormais partageable, les formulaires d’assurance doivent être modifiés pour tenter de gérer ce flou entre usage privé et usage commercial », explique M. Bigot-Verdier.

Quelques programmes spécifiques ont déjà fait leur apparition pour tenir compte de l’offre de services de grands joueurs comme Uber, Turo ou Airbnb. Par exemple, dans le cas de Turo, la plateforme de location d’automobiles entre particuliers, les propriétaires qui offrent la location de leur véhicule sur cette plateforme bénéficient « d’une assurance commerciale au Québec, en Ontario et en Alberta pendant la livraison et la location du véhicule », explique l’assureur à l’origine de ce programme, Intact Assurance. Cette protection comprend une valeur à neuf sur les véhicules de quatre ans et moins et une protection en responsabilité civile de deux millions de dollars. Également, pour pouvoir offrir leur véhicule en location sur la plateforme Turo, les propriétaires doivent détenir une assurance automobile des particuliers de l’un des assureurs associés au programme. Parmi eux, La Capitale assurances générales, comme l’explique son porte-parole Jean-Pascal Lavoie : « Pour bénéficier de la couverture en vertu de son contrat d’assurance automobile des particuliers, le client doit mentionner sa participation au programme Turo. Pour le client, il n’y a pas de frais supplémentaires, étant donné que la partie “commerciale” est couverte par un autre contrat lorsque le véhicule est utilisé à des fins de location. » Cela modifie-t-il la tâche des professionnels? « Au moment de la souscription, nous allons demander à quoi servira le véhicule, comme nous le ferions lors de toute soumission, ajoute M. Lavoie. La situation n’est pas différente lors d’une réclamation liée à un sinistre. Il faut cependant déterminer si le sinistre s’est produit lorsque le véhicule était en location pour pouvoir discuter des circonstances avec le locataire. »

Pour répondre aux nouveaux besoins des clients, « l’industrie de l’assurance va devoir s’adapter à cette nouvelle donne, saisir les nouvelles possibilités qui se présenteront et se préparer à faire face à d’éventuels concurrents », écrivait Mike Kosturik, FCIP, président du Conseil national de la Société des professionnels d’assurance agréés, à propos du rapport sur l’économie de partage publié ce printemps par l’Institut d’assurance du Canada. Ainsi, du côté d’Intact assurance, on signale que « les règles de souscription d’une assurance automobile des particuliers ont été modifiées afin de permettre aux clients qui en font la demande de participer à des activités de location d’autos entre pairs en inscrivant leurs véhicules auprès de Turo ». Soulignons également que les formulaires d’assurance habitation du Québec du Bureau d’assurance du Canada couvrent désormais la location à court terme si elle ne dépasse pas 30 jours dans l’année, consécutifs ou non7.

Urgence de répondre aux besoins des consommateurs

Selon les spécialistes de la firme EY, l’industrie canadienne de l’assurance de dommages doit prioriser rapidement le développement d’une offre susceptible de répondre aux risques découlant de la location à court terme de maisons et de voitures et de la mise en place d’environnements de travail partagés dans les petites entreprises. « Pour anticiper l’évolution rapide des besoins des clients et y réagir, il faut savoir s’adapter et concentrer ses efforts dans le but non seulement de concevoir la prochaine génération de produits, mais aussi de mettre ces produits en marché le plus vite possible », écrit d’ailleurs Janice Deganis, leader du secteur de l’assurance d’EY au Canada, dans Perspectives 2017 dans le secteur canadien de l’assurance de dommages.

C’est aussi ce que croit Shawn Turcotte, courtier en assurance de dommages et président d’OVC Assurance : « À l’heure actuelle, le principal enjeu réside du côté des consommateurs qui ne trouvent pas toujours les produits d’assurance susceptibles de répondre à leurs besoins. » Il donne comme exemple la location à court terme d’habitations saisonnières ou secondaires haut de gamme. « Le marché évolue, mais peut-être pas assez vite, note-t-il. Pour le moment, on assiste à une situation semblable à celle qui s’est produite avec l’assurance de la copropriété il y a 30 ans, quand ce type d’habitation a commencé à avoir la cote. »

À l’heure actuelle, pour répondre aux besoins de certains clients qui participent à l’économie de partage, il faut parfois faire preuve de créativité et d’un grand sens de l’adaptation : « Prenons le cas de cette personne qui signe des baux commerciaux de deux à cinq ans pour plusieurs appartements dans le seul but de les louer par la suite sur Airbnb, souligne M. Turcotte. Après quelques semaines et beaucoup de recherches, nous avons fini par lui trouver une solution auprès d’un grossiste. Chaque emplacement loué est détaillé dans le contrat et il faut faire une mise à jour et un suivi réguliers au gré des changements de location. » Dans une telle situation, comme il n’existait aucun code écrit de souscription, les professionnels ont dû aller plus loin dans les questions posées lors de la souscription pour s’assurer de bien comprendre les besoins de leurs clients. « Nous avons ajouté une question dans notre processus de soumission où l’on demande aux clients s’ils s’adonnent à l’économie de partage, souligne-t-il. Mais certains choisissent de ne pas le divulguer, préférant être mal assurés que pas assurés du tout. »

Pourtant, « les entreprises qui adopteront une ouverture à l’égard de ce phénomène auront de nombreuses occasions à saisir, notamment auprès de la génération Y, soutient M. Turcotte. Nous le constatons déjà à notre cabinet. » Il est surtout important que le marché s’adapte à ce nouveau mode de consommation pour éviter de laisser ses adeptes sans protection. « Bientôt, dans quelques semaines, mois ou années, des produits spécifiques existeront et on se dira que l’économie de partage n’était peut-être qu’une tempête dans un verre d’eau », ajoute M. Turcotte.

Mais d’ici là, les professionnels ont un rôle important à jouer. Ils doivent prendre tous les moyens requis pour que les protections correspondent aux besoins des clients. Par ailleurs, « en tant que professionnels, nous avons l’obligation de rappeler aux clients les risques que comporte le fait de ne pas s’assurer ou encore le fait de passer sous silence qu’on pratique l’économie de partage. Nous devons les conseiller au mieux pour qu’ils comprennent l’importance d’en parler avec leur agent ou leur courtier », conclut M. Turcotte.

Et l’assurance « pair à pair »?

En 2016, une quinzaine de plateformes d’assurance « pair à pair » (ou P2P) étaient recensées dans le monde, dont Inspeer (France), Friendsurance (Allemagne), HeyGuevara (Royaume-Uni), Lemonade (États-Unis) ou BeSure (Canada).

Se basant sur la création de communautés virtuelles d’utilisateurs désirant protéger des biens semblables, ces plateformes de l’économie de partage proposent d’assurer tant une automobile (HeyGuevara) ou sa responsabilité civile (Lemonade) que des tablettes et téléphones intelligents, des vélos luxueux ou toutes sortes de risques non couverts par des assurances traditionnelles. D’autres, comme Trōv (Australie) ou Slice (États-Unis), axent davantage leur offre sur une assurance « à la demande » dont la couverture prend effet d’un simple clic de l’utilisateur et s’arrête de la même manière. L’idée, dans ce modèle, est alors d’aligner la durée de la couverture sur l’usage du bien, notamment afin de mieux répondre aux nouveaux besoins de l’économie de partage – couvrir l’usage plutôt que la propriété.

La promesse de ces nouveaux joueurs? Simplifier le processus administratif aux différentes étapes de vie d’un contrat d’assurance, réduire les coûts en limitant le nombre d’intermédiaires qui interviennent dans la chaîne, de la souscription d’une assurance au règlement d’un sinistre, et redonner le contrôle des risques et du processus d’indemnisation aux assurés. Par exemple, le groupe (pool) peut parfois choisir d’autoriser ou de refuser l’indemnisation par un système de vote collectif ou désigner une personne responsable de faire ce choix. Selon les partisans de ce nouveau genre d’assureur, les liens qui unissent le groupe d’assurés permettraient de maintenir une forme de contrôle lors de la souscription. En effet, amis et collègues seraient plus à même de détecter les individus à risque parmi les leurs. Ce serait également un argument positif lors de la réclamation : « Lorsque les clients […] savent que leur réclamation a un effet direct sur leurs amis ou leur famille, ou influence négativement le lien avec leur groupe, ils ont alors plutôt tendance à ne réclamer que ce qui est réellement nécessaire.8 » Plusieurs de ces plateformes prévoient d’ailleurs que si un groupe ne fait aucune réclamation en cours de terme, les membres recevront un remboursement partiel ou total des primes qu’ils ont versées.

Bien qu’il puisse répondre efficacement aux besoins de certains consommateurs, ce modèle présente des limites importantes. D’abord, la capacité financière des groupes est plafonnée, le fonds étant habituellement constitué des sommes versées par les membres. Or, le risque qu’un sinistre excède les capacités d’indemnisation du groupe est réel; pour faire face à cette critique, certaines plateformes s’associent avec des réassureurs ou avec des partenaires leur offrant un soutien financier solide. Par ailleurs, la possibilité pour un groupe de recevoir un remboursement de primes si aucune indemnité n’est versée laisse craindre le risque de voir des réclamations indûment refusées.

L’an dernier, l’Autorité des marchés financiers (l’Autorité) a d’ailleurs publié une mise en garde aux consommateurs rappelant notamment que toute entreprise qui souhaite exercer des activités d’assurance au Québec doit détenir un permis. L’Autorité soulignait également que les consommateurs pourraient essuyer des pertes en cas d’insolvabilité ou de fermeture des plateformes collaboratives. Des pertes qui ne seront pas admissibles au Fonds d’indemnisation si ces entreprises ne détiennent pas un permis de l’Autorité en bonne et due forme.

 

1. Statistiques Canada. « L’économie de partage au Canada », Le Quotidien, 28 février 2017.
2. Exemples : Airbnb, Couchsurfing, Flatbook.
3. Exemples : Uber, Turo.
4. PwC. « The Sharing Economy », Consumer Intelligence Series, 2014, p. 5 (traduction libre).
5. Communauto. Mémoire sur la Stratégie gouvernementale de développement durable révisée (2015-2020 – Projet), février 2015, p. 6.
6. Kovacs, Paul. Sharing Economy: Implications for the Insurance Industry in Canada, The Insurance Institute of Canada, 2017, p. 8 et suivantes (traduction libre).
7. Voir l’article « Nouveaux formulaires d’assurance habitation du Québec : qu’est-ce qui change? », La ChADPresse, vol. 18, no 1, printemps 2017, p. 12.
8. Huckstep, Rick. « Guevara, moral hazard and the future of P2P Insurance » [billet de blogue], 24 décembre 2015 (traduction libre).